Après une chouette soirée à Paris, j’ai donc filé à Londres pour aller voir le dernier spectacle du Donmar Warehouse.
Le Donmar, c’est un petit théâtre de 250 places à Covent Garden. Quand j’écris petit théâtre, il faut imaginer une salle où on passe quasiment sur scène pour accéder à son siège (sauf si on se trouve au balcon naturellement), où on voit tout depuis n’importe quelle place, même le blanc des yeux des comédiens. (J’avais choisi exprès une place au troisième rang pour éviter de croiser les regards des personnages, et manque de chance je n’ai pas pu y échapper.)
Que jouait-on donc au Donmar ? La dernière tragédie de Shakespeare : Coriolanus (traduit en français par Coriolan).
Comme vous le savez, j’avais déjà lu le texte de la pièce pour me familiariser avec l’histoire. Et j’ai eu bien fait, parce que la langue de Shakespeare reste quand même un brin… différente de l’anglais qu’on cause à la City*.
Vous vous doutez bien que je n’avais que de bonnes raisons de traverser la Manche pour trois heures de spectacle. Mes raisons, les voici :
- Shakespeare. Je n’avais jamais vu « Shakespeare » au théâtre et en anglais. Impardonnable.
- Mark Gatiss au Donmar. Mark Gatiss, c’est, pour faire bref, un acteur/scénariste britannique qui fait parti de mes chouchous locaux. Je l’avais loupé l’an dernier alors qu’il jouait au Donmar, et je m’étais promis de voir une fois ce qu’il pouvait donner sur scène.
- Tom Hiddleston. Encore un local de l’étape qui fait parti de mes chouchous qu’on risquait de voir plus de deux scènes, puisqu’il incarne Caius Martius Coriolanus.
- Peter de Jersey. Parce que Peter de Jersey.
Certains des comédiens étant plus ou moins connus, l’achat du billet a été difficile. Pour tout dire, le jour de l’ouverture de la billetterie, tout est parti en moins de dix minutes… Et ce, six mois avant la première. Y’en a qui ont eu le temps d’accoucher d’un cheval à huit pattes**, d’aller chez le coiffeur ou de trouver un travail, moi je vous le dis !
La représentation
Le décor est minimaliste : une échelle plantée au centre de la scène, le mur au fond peint en rouge et blanc. Un jeune garçon vient alors dessiner un carré rouge sur le sol tandis que les comédiens arrivent, posent leur chaise en fond de scène (elles servent de décor pendant la représentation), vont un instant en avant-scène avant de s’asseoir. Des jeunes gens taguent alors le mur en latin***. Le peuple crie famine, Martius déboule comme un fou et hurle tout le mal qu’il pense de la plèbe et de ses tribuns. (L’un d’eux étant devenu une femme dans cette adaptation, certains critiques ont cru bon de protester contre cet outrage. Pas de chance pour eux, la féminisation de ce personnage lui donne un côté pétillant.)
La couleur rouge est omniprésente. Il s’agit tantôt du sang des victimes de Martius (futur Coriolanus) et de son propre sang, tantôt de pétales de fleurs jetés pour accueillir le héros, tantôt des voix du peuple ou des fruits pourris balancés sur le héros devenu traitre.
J’ai également noté le nombre incalculables d’embrassades. Entre mari et femme, entre mère et fils, fils et père. Entre soldats. Entre Aufidius et Coriolanus pour lesquels la tension homoérotique est à son comble (le baiser sur les lèvres étant bien moins érotique que le baise-main). Aufidius n’avoue-t-il pas être davantage ému de la présence de Coriolanus que de sa nuit de noces avec sa jeune épousée ?
Pour nous aider à comprendre que deux peuples s’affrontent, Aufidius et ses Volsques ont l’accent du Yorkshire… Et Shakespeare avec l’accent du Yorkshire, c’est très mignon, mais ce n’est pas toujours très compréhensible pour les petites étrangères.
Sans rien vous cacher, j’ai trouvé tout le monde très bon. Gatiss m’a émue en figure mi-paternelle mi-amante (« In Rome he [Coriolanus] was my lover. »), avec les yeux pleins de larmes lors des adieux à son presque-fils et la voix écrasée par l’émotion lorsque ce dernier le renie. Peter de Jersey est lui un Cominius impeccable et imposant dans son costume martial qu’il ne quitte jamais.
J’ai eu un vrai coup de cœur pour le personnage de la mère de Coriolanus, Volumnia. Manipulant sans vergogne son garçon (« Boy! »), cherchant à travers son fils unique à assouvir ses désirs, c’est une figure à la fois maternelle et paternelle n’hésitant pas envoyant son fils à la mort pour la gloire. Son portrait est touchant (et excellent), et j’ai cru pleurer lorsqu’elle réalise avec horreur qu’elle est parvenue à sauver Rome en envoyant son fils à la mort.
Et Coriolanus ! C’est une vraie tête de mule, à la fois très mâle et très enfantine avec un petit potentiel comique. Il faut le voir en robe de mendiant, exhibant davantage ses genoux que ses blessures dans une scène plutôt amusante pour obtenir les suffrages du peuple. Mais c’est une tragédie qui s’appelle Coriolanus, donc forcément… Coriolanus meurt de manière horrible, suspendu la tête en bas, éventré comme un animal de boucherie. Cette mise en scène est sans doute un hommage à Laurence Olivier (qui a également joué Coriolanus). L’acteur reste au moins 5 minutes dans cette position, et ce, après avoir passé près de 3 heures à se donner à 200% ! On m’avait dit que Hiddleston était plutôt bon, mais je ne pensais pas qu’il l’était à ce point. Lorsqu’il débarque lors de la première scène, j’avais beau m’attendre à voir un homme en colère, j’ai eu un petit moment de flou où je me suis demandée si une tornade ne venait pas de s’abattre sur scène. Et il est à peu près comme ça du début à la fin (sauf lorsqu’il est en réserve en fond de scène avec les autres).
Bref, j’ai adoré ma soirée.
A la sortie du théâtre, qui ne semble pas avoir officiellement d’entrée des artistes, je me suis fait accueillir sur le trottoir par un énorme groupe de surexcités attendant de pouvoir faire signer leur programme. Et bien croyez-le ou non, mais je me suis sentie prise de panique et franchement mal à l’aise pour les gaillards qui venaient de passer 3 h sur scène et qui devaient encore passer l’épreuve des fans.
N’aimant pas trop la foule en furie, je me suis éclipsée. J’avais envie de retourner entière à l’hôtel.
Notes :
*And « what is the city but the people »?
**Pardon.
*** Annonis plebis. Ça semble avoir un rapport avec la nourriture que la plèbe réclame au sénat/aux patriciens.
Vous noterez que je n’ai pas parlé de la « fameuse » douche de Coriolanus sur scène. Je reste assez sceptique sur son utilité.